Welcome to European Tribune. It's gone a bit quiet around here these days, but it's still going.
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from an article in yesterday's Le Monde, by Robert Castel:


Travailler plus, pour gagner quoi?

On assiste, au contraire, à une extraordinaire survalorisation du travail portée par une idéologie libérale agressive qui trouve sa traduction politique directe dans les orientations de l'actuelle majorité, président de la République en tête. La virulence de la critique des lois dites "lois Aubry" sur la réduction du temps de travail après le changement de majorité en 2002 a parfois frôlé l'hystérie. "La France ne doit pas être un parc de loisirs", déclarait durant l'été 2003 Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre. La France est devenue la lanterne rouge de l'Europe, elle s'enfonce dans le déclin parce que les Français ne travaillent pas assez : la campagne présidentielle a été dominée par cette apologie du travail, et l'habileté avec laquelle Nicolas Sarkozy l'a orchestrée a été pour beaucoup dans son succès.

Tout le monde a en mémoire les slogans incitant au travail et portant la promesse que travailler davantage est le moyen à la fois d'améliorer son pouvoir d'achat et aussi d'accomplir son devoir de citoyen et d'aider la France à retrouver la place qu'elle mérite dans le concert des nations. Cela, évidemment, pour tous ceux qui veulent bien travailler, qui en ont le courage. Cette célébration du travail est en effet assortie de la stigmatisation de tous ceux qui ne travaillent pas. C'est le soupçon qui pèse sur les chômeurs d'être des "chômeurs volontaires" pour lesquels on va multiplier les contrôles et les pressions pour qu'ils acceptent n'importe quel emploi. C'est aussi la condamnation des assistés, comme les bénéficiaires du RMI, accusés d'être des parasites vivant aux crochets de la France qui se lève tôt.

Ces positions, au demeurant populaires, pourraient paraître, si ce n'est aberrantes, à tout le moins paradoxale, puisque l'une des caractéristiques de la situation actuelle est précisément que le travail manque et que le plein-emploi n'est plus assuré depuis trente ans. Cependant, c'est dans ce contexte que l'incitation inconditionnelle au travail prend tout son sens.

Il faut en effet penser ensemble ces trois composantes de la situation présente : primo, il y a du non-emploi, c'est-à-dire une pénurie de places disponibles sur le marché du travail susceptibles d'assurer le plein-emploi ; deuxio, il y a une survalorisation du travail qui en fait un impératif catégorique, une exigence absolue de travailler pour être socialement respectable ; tertio, il y a cette stigmatisation du non-travail, assimilé à l'oisiveté coupable, à la figure traditionnelle du "mauvais pauvre" vivant aux dépens de ceux qui travaillent.

Ces trois dimensions fonctionnent d'une manière complémentaire pour impulser une politique pouvant conduire à la pleine activité sans que cela signifie le retour au plein-emploi. Tout le monde doit et pourrait travailler si on abaisse le seuil d'exigence qui commande l'accès au travail. Il faut donc travailler même si le tra-vail n'assure pas les conditions minimales d'une certaine indépendance économique. C'est ainsi que l'on devient un travailleur pauvre, figure qui est en train de s'installer dans notre paysage social. Ce n'est pas très gratifiant à aucun point de vue d'être un travailleur pauvre. Cependant c'est mieux que d'être un mauvais pauvre, un misérable parasite assisté.

Se dessine ainsi une stratégie qui, à la limite, pourrait résorber le chômage en le grignotant progressivement par la multiplication de manières dégradées de travailler. On pourrait de la sorte restaurer une société de pleine activité (mot d'ordre de l'OCDE), sans que l'on puisse parler de société de plein-emploi, si l'on entend par emploi un travail relativement assuré de sa durée (prééminence du CDI), fermement encadré par le droit du travail et couvert par la protection sociale. Le processus est en cours.

The conclusion is important:


Ces formes de sous-emploi sont généralement peu attractives et elles n'assurent pas les conditions de base nécessaires pour mener une vie décente. On conçoit donc que des pressions doivent s'exercer pour faire accepter ces formes de travail : il faut absolument que tu travailles pour échapper au mépris attaché au mauvais pauvre. C'est finalement sur un chantage d'ordre moral autant que sur un raisonnement économique que repose l'orchestration actuelle de l'inconditionnalité de la valeur travail par les autorités qui nous gouvernent.

Il faut continuer à défendre la valeur travail, parce que l'on n'a pas encore trouvé d'alternative consistante au travail pour assurer l'indépendance économique et la reconnaissance sociale dans une société moderne. Mais aussi rappeler qu'il y a travail et travail. Le travail est essentiel en tant que support de l'identité de la personne à travers les ressources économiques et les droits sociaux auxquels il donne accès. Au contraire, l'institution de formes dégradées d'emploi au nom de l'exigence de travailler à tout prix et à n'importe quel prix conduit aussi à la dégradation du statut de travailleur et, finalement, de la qualité de citoyen. Il ne suffit pas de "réhabiliter le travail", comme se propose de le faire le président de la République : il faudrait respecter la dignité des travailleurs.




In the long run, we're all dead. John Maynard Keynes
by Jerome a Paris (etg@eurotrib.com) on Thu Jul 10th, 2008 at 07:20:49 AM EST
any chance of a machine translation for the linguistically challenged amongst us?

"It's a mystery to me - the game commences, For the usual fee - plus expenses, Confidential information - it's in my diary..."
by Frank Schnittger (mail Frankschnittger at hot male dotty communists) on Thu Jul 10th, 2008 at 07:43:23 AM EST
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I don't have tribext, and no time to translate today. Anyone else can help?

In the long run, we're all dead. John Maynard Keynes
by Jerome a Paris (etg@eurotrib.com) on Thu Jul 10th, 2008 at 08:11:06 AM EST
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I have put one up. Sorry, I have no time to go through and correct it, so you get the pure, unadulterated machine output!
by someone (s0me1smail(a)gmail(d)com) on Thu Jul 10th, 2008 at 08:57:20 AM EST
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Many thanks.  Sometimes the pure machine translation is more fun to read than a professional one because it transliterates the colloquialisms and gives dome idea of local idioms.  From Franglais to Eurolais I say!

"It's a mystery to me - the game commences, For the usual fee - plus expenses, Confidential information - it's in my diary..."
by Frank Schnittger (mail Frankschnittger at hot male dotty communists) on Thu Jul 10th, 2008 at 09:08:27 AM EST
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Travailler plus, pour gagner quoi? Work harder, to win what?
On assiste, au contraire, à une extraordinaire survalorisation du travail portée par une idéologie libérale agressive qui trouve sa traduction politique directe dans les orientations de l'actuelle majorité, président de la République en tête. La virulence de la critique des lois dites "lois Aubry" sur la réduction du temps de travail après le changement de majorité en 2002 a parfois frôlé l'hystérie. "La France ne doit pas être un parc de loisirs", déclarait durant l'été 2003 Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre. La France est devenue la lanterne rouge de l'Europe, elle s'enfonce dans le déclin parce que les Français ne travaillent pas assez : la campagne présidentielle a été dominée par cette apologie du travail, et l'habileté avec laquelle Nicolas Sarkozy l'a orchestrée a été pour beaucoup dans son succès.There, on the contrary, an extraordinary survalorisation scope of work by an aggressive liberal ideology which is reflected in direct political orientations of the current majority, President of the Republic in mind. The virulence of the criticism of laws known as "Aubry laws" on the reduction of working time after the change of majority in 2002 has sometimes close hysteria. "France must not be a leisure park," said during the summer of 2003 Jean-Pierre Raffarin, then prime minister. France became the red lantern of Europe, it is sinking in the decline because the French do not work hard enough: the presidential campaign was dominated by the glorification of work and the skill with which Nicolas Sarkozy 's has orchestrated has been instrumental in its success.
Tout le monde a en mémoire les slogans incitant au travail et portant la promesse que travailler davantage est le moyen à la fois d'améliorer son pouvoir d'achat et aussi d'accomplir son devoir de citoyen et d'aider la France à retrouver la place qu'elle mérite dans le concert des nations. Cela, évidemment, pour tous ceux qui veulent bien travailler, qui en ont le courage. Cette célébration du travail est en effet assortie de la stigmatisation de tous ceux qui ne travaillent pas. C'est le soupçon qui pèse sur les chômeurs d'être des "chômeurs volontaires" pour lesquels on va multiplier les contrôles et les pressions pour qu'ils acceptent n'importe quel emploi. C'est aussi la condamnation des assistés, comme les bénéficiaires du RMI, accusés d'être des parasites vivant aux crochets de la France qui se lève tôt.Everybody has to remember the slogans incentive to work and bearing the promise that more work is the way to both improve its purchasing power and also to perform his duty as a citizen and to help France to regain place it deserves in the concert of nations. This, of course, for all those who want to work, who have the courage. This celebration of the work is indeed with the stigma of all those who do not work. It is the suspicion that weighs on the unemployed to be "unemployed volunteers" for which we will increase controls and pressures to accept any job. It is also the condemnation of assists, as beneficiaries of the RMI, accused of being parasites living in the brackets of France that gets up early.
Ces positions, au demeurant populaires, pourraient paraître, si ce n'est aberrantes, à tout le moins paradoxale, puisque l'une des caractéristiques de la situation actuelle est précisément que le travail manque et que le plein-emploi n'est plus assuré depuis trente ans. Cependant, c'est dans ce contexte que l'incitation inconditionnelle au travail prend tout son sens.These positions, however popular, could appear, if not aberrant, at the very least paradoxical, since one of the characteristics of the current situation is precisely that the work is lacking and that full employment is no longer assured in thirty years. However, it is in this context that the unconditional incentive to work makes sense.
Il faut en effet penser ensemble ces trois composantes de la situation présente : primo, il y a du non-emploi, c'est-à-dire une pénurie de places disponibles sur le marché du travail susceptibles d'assurer le plein-emploi ; deuxio, il y a une survalorisation du travail qui en fait un impératif catégorique, une exigence absolue de travailler pour être socialement respectable ; tertio, il y a cette stigmatisation du non-travail, assimilé à l'oisiveté coupable, à la figure traditionnelle du "mauvais pauvre" vivant aux dépens de ceux qui travaillent.We need to think together these three components of the present situation: firstly, there is non-employment, ie a shortage of places available in the labour market that could ensure full employment; deuxio There is a survalorisation labour which makes a categorical imperative, an absolute requirement to work to be socially respectable; thirdly, there is this stigma of non-work, likened to idleness guilty, the traditional figure of "ill-poor "Living at the expense of those who work.
Ces trois dimensions fonctionnent d'une manière complémentaire pour impulser une politique pouvant conduire à la pleine activité sans que cela signifie le retour au plein-emploi. Tout le monde doit et pourrait travailler si on abaisse le seuil d'exigence qui commande l'accès au travail. Il faut donc travailler même si le tra-vail n'assure pas les conditions minimales d'une certaine indépendance économique. C'est ainsi que l'on devient un travailleur pauvre, figure qui est en train de s'installer dans notre paysage social. Ce n'est pas très gratifiant à aucun point de vue d'être un travailleur pauvre. Cependant c'est mieux que d'être un mauvais pauvre, un misérable parasite assisté.These three-dimensional work in a complementary way to encourage a policy that could lead to full activity without that mean a return to full employment. Everyone should and could work if it lowers the threshold requirement that controls access to work. We must therefore work even if the work does not have the minimum conditions of a certain economic independence. Thus it becomes a poor worker, figure that is being settled in our social landscape. This is not very rewarding at any point of view of being a poor worker. But it's better than being a poor poor, miserable parasite attended.
Se dessine ainsi une stratégie qui, à la limite, pourrait résorber le chômage en le grignotant progressivement par la multiplication de manières dégradées de travailler. On pourrait de la sorte restaurer une société de pleine activité (mot d'ordre de l'OCDE), sans que l'on puisse parler de société de plein-emploi, si l'on entend par emploi un travail relativement assuré de sa durée (prééminence du CDI), fermement encadré par le droit du travail et couvert par la protection sociale. Le processus est en cours.
It draws together a strategy which, in extreme cases, could eliminate unemployment in the grignotant gradually by increasing the number of degraded ways of working. It could thus restore a society full of activity (watchword of the OECD), but we can talk about a society of full employment, if it means a job working relatively assured of its duration (rule of CDI), strongly supported by labour law and covered by social protection. The process is underway.
Ces formes de sous-emploi sont généralement peu attractives et elles n'assurent pas les conditions de base nécessaires pour mener une vie décente. On conçoit donc que des pressions doivent s'exercer pour faire accepter ces formes de travail : il faut absolument que tu travailles pour échapper au mépris attaché au mauvais pauvre. C'est finalement sur un chantage d'ordre moral autant que sur un raisonnement économique que repose l'orchestration actuelle de l'inconditionnalité de la valeur travail par les autorités qui nous gouvernent.These forms of underemployment are generally unattractive, and they do not perform the basic conditions necessary to lead a decent life. It develops that pressure should be exercised to accept these forms of work: it is imperative that you work to escape contempt committed to ill poor. It is finally on a blackmail moral as well as on an economic reasoning that lies orchestrating the current value unconditionality of the work by the authorities that govern us.
Il faut continuer à défendre la valeur travail, parce que l'on n'a pas encore trouvé d'alternative consistante au travail pour assurer l'indépendance économique et la reconnaissance sociale dans une société moderne. Mais aussi rappeler qu'il y a travail et travail. Le travail est essentiel en tant que support de l'identité de la personne à travers les ressources économiques et les droits sociaux auxquels il donne accès. Au contraire, l'institution de formes dégradées d'emploi au nom de l'exigence de travailler à tout prix et à n'importe quel prix conduit aussi à la dégradation du statut de travailleur et, finalement, de la qualité de citoyen. Il ne suffit pas de "réhabiliter le travail", comme se propose de le faire le président de la République : il faudrait respecter la dignité des travailleurs. We must continue to defend the value work, because we have not yet found an alternative to the consistent work to ensure economic independence and social recognition in a modern society. But also remember that there is work and work. The work is essential as a medium for the person's identity through economic resources and social rights which it gives access. On the contrary, the institution of degraded forms of employment on behalf of the requirement to work at any price and at any price also leads to the deterioration of worker status and, ultimately, the quality of citizen. It is not enough to "rehabilitate work", proposes to make the president: it should respect the dignity of workers.
by someone (s0me1smail(a)gmail(d)com) on Thu Jul 10th, 2008 at 08:52:51 AM EST
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