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Welcome to European Tribune. It's gone a bit quiet around here these days, but it's still going.
by Jerome a Paris
Mon Sep 10th, 2007 at 09:01:33 AM EST
Le Monde has been kind enough to decide to publish the article below, written back in April, in its edition dated September 11, with minimal edits, so I am reposting this today here on the front page.
The article mentions neither John's big role in writing and editing this article, nor my position with the European Tribune, but I guess we should be happy that the facts it contains are given a wide hearing. -- Jérôme.
La France n'est pas en déclin et n'a pas besoin de "réforme" John Evans & Jérôme Guillet | | France is not in decline and the last thing it needs is "reform" By John Evans & Jérôme Guillet |
Il est bien difficile aujourd'hui de trouver, dans les médias tant nationaux qu'internationaux, un commentaire sur l'économie française où manquent les mentions obligatoires de son déclin, de la faiblesse de la croissance, ou de la persistance d’un chômage de mass, et qui ne présente pas comme une évidence l'urgente nécessite de "réformes". Entre guillemets, "réformes", car ce mot est devenu un nom de code plus ou moins explicite pour un programme à sens unique: libéralisation d'un marché du travail considéré "trop rigide" via l'assouplissement du code du travail, baisse des charges sur les entreprises, affaiblissement du contrôle de l'Etat, et, naturellement, baisse des impôts. Des travailleurs plus flexibles et moins chers seraient plus facilement embauchés, ce qui améliorerait la compétitivité des entreprises et leurs profits, sur le modèle anglais ou américain. Et évidemment les 35 heures tant décriées, cette « aberration économique », doivent être éliminées afin de remettre la France au travail. Le problème est que ce programme, qui sert bien les intérêts des actionnaires et des dirigeants d'entreprise, se base sur une description extrêmement partielle et partiale de la réalité économique. | | It is hard to find, in the international media, commentary on the French elections that does not suggest national decline, a stagnant economy, a hopeless employment situation, an unrealistic 35-hour working week, and the urgent need for "reform" if France is to get back on the road to growth again.. "Reform" is here between quotes, given the extent to which it has become a more or less explicit codeword for a one-way agenda: liberalizing the labour market, weakening union power and State regulation of business, and reducing taxes. Cheaper workers, it is assumed, will lead to greater competitiveness, higher profits and, therefore, more jobs. The problem is that this programme is based on a view of economic reality that is neither impartial nor complete. |
Le leitmotiv du déclin prend généralement appui sur la croissance plus faible de la France, relativement à celle de pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ces dernières années, et sur la baisse relative de son PIB par tête. Or cette description tronquée de la réalité ne tient pas compte de la distribution des richesses, et de l'augmentation extraordinaire de l'inégalité dans ces économies censées nous servir de modèle. En fait, toute la richesse créée dans ces pays a été captée par une tranche étroite de la population. Les revenus médians sont stagnants, alors que les revenus des 0,1% les plus riches de la population augmentent en flèche, au point d'être passés de 2% à 7% des revenus totaux en moins de vingt ans aux Etats-Unis, selon les chiffres de l'étude de Piketty et Saez. | | When it is backed up, the imputation of decline is generally linked to lower GDP growth over the past few years, with a drop in relative GDP per capita, compared to countries like the United Kingdom and the United States - constantly touted as models for France to follow. This view is one-sided because it takes no account of internal income distribution, and more particularly of increasing inequality in these economies. In the US, most of GDP growth has been captured by a small slice of the population. Median wages have been flat for a long time, while the income share of the top 0.1% of population (as evidenced in Piketty and Saez's ground-breaking study) has grown from 2% to 7% in under twenty years |
"A New Gilded Age" Martin Wolf, Financial Times, 25/04/2006
Ces 5% supplémentaires captés par les plus riches sont équivalents à l'appauvrissement relatif des français (dont le PIB par tête est passé de 78% à 72% de celui des américains sur la période, en moyenne) ce qui veut dire que la croissance économique a été identique en France - pour les 99,9% les moins riches de la population.... | | These extra 5% gained by the wealthiest group are equivalent to the drop in relative GDP per capita of France, (from 78% to 72% of American GDP per capita over the same period), which means that economic growth has been roughly similar in the two countries - for the least wealthy 99.9% of the population... |
"European corporatism needs to embrace market-led change" Martin Wolf, Financial Times, 24/01/2007 The same graph for France only, excluding the top 0.1% by income Le même graphique pour le PIB relatif de la France, excluant les 0,1% les plus riches
L'accroissement des inégalités se constate également à l'autre bout de l'échelle des revenus, où on note un taux de pauvreté infantile de 7% en France, de 16% au Royaume-Uni (le double de celui en 1979) et de 20% aux Etats-Unis (sans oublier les 15% d'Américains qui n'ont aucune couverture maladie). | | The growth of inequality can also be observed by looking at the lower end of the income ladder. While child poverty is estimated at 7% in France, it stands at 16% in Britain (double the rate for 1979), and at 20% in the USA (without forgetting the 15% of Americans without health insurance). |
"An overview of child well-being in rich countries" UNICEF, Innocenti Report Card 7, 2007
Même en appliquant le seuil de pauvreté américain en valeur absolue (selon un calcul légèrement différent du précédent) il y a moins d’enfants pauvres en France (11% contre 14% - sans parler des 29% du Royaume-Uni), malgré un revenu moyen par tête de 30% plus faible. | | Most significantly, if the absolute income threshold used for the statistical determination of poverty in the US were applied, there would still be fewer poor children in France (11% as against 14% in the US - and 29% in the UK), despite an average per capita income lower by 30%. |
"A league Table of Child Poverty in Rich Nations" UNICEF, Innocenti Report Card 1, 2000
Il est compréhensible de défendre la liberté des membres les plus dynamiques de la société d'entreprendre et de bénéficier des fruits de leur travail, mais cette liberté accordée sans contrepartie s'accompagne inévitablement de fractures sociales bien plus marquées que celles connues en France. Le choix d'un niveau élevé de solidarité et de redistribution modère les revenus des plus riches, soit, mais, fait moins souvent évoqué, pas ceux des autres. Ainsi, la banque UBS a noté que le deuxième décile de revenus a connu une augmentation de son niveau de vie de 7% en France et une baisse de 12% aux Etats-Unis entre 1997 et 2004, et que le neuvième décile avait connu une augmentation de 12% en France et de 10% aux Etats-Unis. Un Français de revenu modeste ou membre des classes moyennes ou même aisées profite plus de la croissance modérée de l’économie française que son cousin américain ne profite du dynamisme de son pays. | | Freeing society's most dynamic and productive members to earn more and hold on to the benefits of their efforts may appear a worthwhile policy goal, but it comes at a considerable price which is all too often ignored when discussing the merits of "reform." The other option, that of encouraging solidarity and redistribution, certainly restrains income growth for the wealthiest, but not - a less commonly-stated point - for all the others. A study by UBS, while observing that the income of the ninth decile of the population (the second poorest tranche of 10%, ranked by income) saw its income rise by 7% in France between 1997 and 2004, as against a drop of 10% in the US, also noted that the income of the second richest decile rose by 12% in France, and 10% in the US. The moderate growth of the French economy benefits not just the lower-paid but also members of the upper-middle classes more than the dynamism of the US benefits their American counterparts. |
"Unequal Economics" UBS, 10/2006
Il semblerait donc que, sur le plan des revenus, les très riches forment le seul groupe qui bénéficie des "réformes". Mais cette conclusion ne fait-elle pas bon marché du chômage dont souffre la France? Tout dépend de ce qu'on mesure. Ainsi, parmi les hommes de 25 à 54 ans, 87,6% avaient un emploi en 2004 en France, et 87,3% aux Etats-Unis, selon les chiffres de l’OCDE. Et pourtant le taux de chômage pour cette catégorie était alors de 7,4% en France, et 4,4% aux Etats-Unis. La ligne séparant chômage d'inactivité n'est visiblement pas mise au même endroit dans chaque pays... De même, le chômage des jeunes touche 8,4% des 15-24 ans en France, contre 5,5% au Danemark, 7,6% aux Etats-Unis et 7,5% au Royaume-Uni, donc pas de quoi crier à la faillite du modèle. | | We may conclude that the only group that needs "reform" of the French economy is made up of the very rich. But doesn't that conclusion superbly ignore well-known French problems like massive and especially youth unemployment? Unemployment figures are bandied about as proof of good or weak economic performance with no concession to the fact that they are not arrived at by the same methods from one country to another. Thus, according to the OECD, 87.6% of men aged 25-54 worked in 2004 in France, as opposed to 87.3% in the US. Yet the unemployment rate for that category then was 7.4% in France, and 4.4% in the US. Clearly, the line between "unemployed" and "inactive" is not drawn in the same way in each country. One could also wonder about the line between "unemployed" and "on Incapacity Benefit" in the UK... As for youth unemployment, the proportion of 15-24 year-olds that are unemployed in France is 8.4%, as opposed to 5.5% in Denmark, 7.6% in the US and 7.5% in the UK - hardly enough difference to disqualify the "French model". |
"Déréglementation sans précédent du marché du travail" Le Monde, 17/01/2006
Simon Briscoe Financial Times, 20/04/2006
Certes, le taux de chômage est nettement plus élevé, mais cela reflète essentiellement le fait que la population active est plus étroite dans cette classe d’âge en France, notamment parce que moins de jeunes trouvent nécessaire d'occuper un emploi tout en poursuivant leurs études. | | The unemployment rate is indeed much higher in France, but that's because the active population in that age category is so much smaller - to a considerable extent a reflection of the fact that fewer young people find it necessary to hold down a job at the same time as they study. |
Le Monde, 31/01/2006
Eurostat, "Forces de travail 2000" via Le Monde, 26/01/2006
Mais les Français travaillent moins, nous dit-on. Même pas (voir commentaire n°10, de Jean-François Couvrat). Les travailleurs français effectuent 37,4 heures par semaine en moyenne, contre 35,6 heures au Royaume-Uni. Les employés à temps plein travaillent effectivement moins longtemps en France (40,9 heures contre 43,2 heures en 2005), mais le nombre élevé d'emplois à temps partiel baisse la moyenne britannique; le nombre d’heures totales travaillées dans le deux pays est à peu près équivalent, pour des populations similaires. Dire que les Français travaillent moins est donc tout simplement faux. | | But (shades of the 35-hour week!) the French work less, we are told. Not so. French workers work more (see comment n°10, by Jean-François Couvrat), on average, than their UK counterparts (37.4 hours per week as against 35.6 hours), according to Eurostat. Full-time workers do work shorter hours (40.9 hours for the French compared to 43.2 hours for the British in 2005), but the high number of part-time jobs in the UK brings down the average; the total number of hours worked in each of the two countries is roughly equivalent, for populations of similar size. The argument that the French don't work is plainly false. |
Par ailleurs, la France a créé autant d'emplois que le Royaume-Uni au cours des 10 dernières années: 2,5 millions. La seule différence est que, au Royaume-Uni, la création de postes a été très régulière, alors qu’en France, la quasi totalité de ces emplois a été créée entre 1997 et 2002, c'est-à-dire précisément au moment de la mise en place des 35 heures, et ce alors que la croissance mondiale a été plus forte ces 5 dernières années. | | Another fact that goes against conventional wisdom is that France has created as many jobs as the UK over the past 10 years: 2.5 million. In the UK, they were created throughout the period; in France's case, they were created between 1997 and 2002, i.e. precisely at the time when the 35-hour week came into force. In fact, the introduction of that law saw the largest ever increase in hours worked in the French economy. And suggesting that this is a simple expression of favorable international conditions is incorrect as world growth has actually been stronger since 2002. |
UNEDIC, "Statistiques annuelles des effectifs salariés affiliés" via Le Monde
HSBC-CCF, Questions d'actualité - le Royaume-Uni en 2004
Plus remarquable encore, la France a créé plus d'emplois dans le secteur privé (+10% entre 1996 et 2002, selon l'OCDE) que le Royaume-Uni (+6%) ou les Etats-Unis (+5%). En fait, le Royaume-Uni n'a créé quasiment aucun emploi net dans le secteur privé depuis près de 5 ans, mais a bénéficié de l'augmentation très forte des emplois dans le secteur public. | | But that's not all. France created more private sector jobs (+10% between 1996-2002, according to the OECD) than either the UK (+6%) or the US (+5%). In fact, the UK economy has barely created any net employment in the private sector in the past five years, but, thanks to increased public spending, has seen a remarkable rise in public sector jobs. |
OCDE, via Hussonet (pdf)
Cela reflète le fait que les croissances anglaise et américaine reposent très largement sur l'augmentation de la dépense publique, qui a littéralement explosé sous Blair et Bush, passant de 38% à 45% du PIB au RU et de 34% à 37% aux EU entre 2000 et 2006. Dans le cas britannique, cette relance keynésienne (centrée sur les secteurs de l’éducation et de la santé) s'est faite grâce à l'augmentation des impôts et à la cagnotte du pétrole de la Mer du Nord, tandis que l'administration Bush a présidé (pour payer sa guerre en Iraq) à une augmentation sans précédent de la dette publique - et de la dette privée, la plupart des ménages se voyant obligés d'emprunter - sur le dos d'une bulle immobilière également sans équivalent - pour compenser la stagnation de leurs revenus. Mais dans ce cas-là, semble-t-il, il s'agit de "dynamisme". Il paraît cependant légitime de se demander quelle partie du modèle anglo-saxon nous sommes conviés à copier... | | This reflects the fact that UK and US growth rates have been boosted, to a large extent, by massive increases in public spending (from 34% to 37% of GDP in the US, and from 38% to 45% in the UK between 2001 and 2006). In the British case, this Keynesian stimulation (directed towards the healthcare and education sectors) has been paid for by tax increases and the last few years of the North Sea bonanza; in the case of the US, the Bush administration (to finance the Iraq war) has presided over an unprecedented increase in public debt - doubled by a private debt binge, with households borrowing (on the strength of an equally unprecedented housing bubble) to compensate for the stagnation of their income. One really has to wonder what France is being told to imitate: what Tony Blair and George Bush say, or what they do? |
"How Labour steered an economy going global" Financial Times, 19/09/2006
Evidemment, il ne s'agit pas de dire que tout va bien en France, ni qu'il n'y a rien à changer. Mais le mot "réforme" est maintenant porteur d'un tel agenda idéologique qu'on aurait sans doute tout à gagner à l'exclure de tout discours qui se voudrait sincère. A moins, bien entendu, que nous soyons tous déjà d'accord que l'objectif qu'il convient de fixer soit effectivement de faire baisser les revenus des travailleurs les plus modestes afin de réduire le fardeau qui pèse sur les quelques "happy few" en haut de l'échelle des revenus. | | This is not to say that France has no problems, or is in need of no change at all. But the word "reform" has become the bearer of such an ideological bias that honest discourse would be better off avoiding it. Unless, of course, we all agree already that the right goal is to lower incomes for workers while increasing them for a happy few at the very top, while waiting for a purported (but invisible to statisticians) "trickle down". |
"Bush Reorients Rhetoric, Acknowledges Income Gap" Wall Street Journal, 26/03/2007
Il est tentant de se demander si le feu roulant qui tend à déprécier l'économie française provient de ceux qui ne supportent pas l'existence d'un modèle social différent, modèle qui prouverait que la "réforme" n'est pas indispensable. S'il est possible d'assurer la prospérité de presque tous en décourageant la concentration de la richesse entre quelques mains, cela élimine le principal argument des partisans du capitalisme débridé. Comme l'a dit le milliardaire Warren Buffett, les riches aux Etats-Unis mènent - et gagnent - la lutte des classes. Depuis la chute du mur de Berlin, ce vocabulaire semble décrédibilisé et désuet, ce dont certains ont su profiter. Il serait temps de noter qu'ils n'agissent pas dans l'intérêt de tous, mais uniquement dans le leur. | | In fact, one gets the nagging suspicion that the French economy comes in for such consistent bashing precisely because it shows that overall standards of living can increase without the rich getting extravagantly richer, thus refuting one of the essential justifications for unbridled capitalism. Warren Buffett said that what the wealthy in the US are carrying out - and winning - is class struggle. That kind of vocabulary went out of date with the fall of the Berlin Wall, a fact that has been taken advantage of by some. It's time to realize they don't act in the general interest, just in their own.
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