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Une explication de la crise financière: l'Anglo Disease

by Jerome a Paris Sat Feb 16th, 2008 at 09:16:06 AM EST

Le texte ci-dessous (colonne de droite) est une adaptation d'un essai initialement rédigé en anglais et reproduit ci-dessous (colonne de gauche). Il s'agit d'une tentative de synthèse d'un certain nombre de discussions menées au cours des derniers mois pour tenter d'éclaircir la génese de la crise financière en cours. Les liens vers ces discussions (qui sont essentiellement en anglais) est en bas de ce texte. Ce texte est dans la lignée de l'article Non, la France n'est pas en déclin et n'a pas besoin de "réformes" écrit avec John Evans (afew) et publié dans le Monde daté du 11 septembre 2007.




In the 70s, the Economist coined the label "Dutch Disease" to describe the economic travails of the Netherlands as the country's export-oriented industrial sector struggled with the increased exchange rates caused by the rapid growth in gas exports that followed the discovery and development of the massive Groningen field. The extractive sector was so profitable that it captured a large share of new investment, and its export volume was large enough to alter the trade balance and boost the currency, further rendering other activities less attractive.Dans les années 1970, le magazine The Economist inventa le terme de "Dutch Disease" pour décrire le malaise économique qui avait frappé les Pays-Bas après la mise en production du champ gazier géant de Groningue Le secteur gazier était tellement rentable qu'il avait accaparé une grande part de l'investissement domestique, et : l'augmentation rapide des exportations de gaz avait conduit à une appréciation de la monnaie nationale, et à une perte de compétitivité pour les autres industries exportatrices du pays.
Today, we can observe a similar phenomenon on a large scale around the financial industry, whose high profitability for many years has also caused weakness for other sectors of the economy. As this has developed around the money centers in New York and, in an even more concentrated way, London, I would propose to label this the "Anglo Disease."

While the Dutch managed to avoid the "oil curse" that has struck many oil exporting countries, I will also argue that the Anglo Disease carries its own curse, whose early symptoms are reflected in the current financial crisis.

Aujourd'hui, on peut considérer qu'un phénomène similaire est apparu autour du secteur financier, dont la très grande profitabilité ces dernières années a affaibli de manière symétrique les autres activités économiques. Comme ce secteur est très concentré autour des capitales financières que sont Londres et New York, nous proposons de nommer ce qui se passe aujourd'hui l'"Anglo Disease." Et tandis que les néerlandais ont au moins réussi à éviter la "malédiction de l'or noir" qui a frappé de nombreux pays exprtateurs de pétrole, il devient apparent que l'Anglo Disease est également porteuse de malédiction économique, dont les premier symptômes sont visibles aujourd'hui dans la crise financière en cours.





The dominance of the financial world can be readily seen in the growth of the share of financial firms in total corporate profits (from below 20% in the 70s to above 40% today), in the capture by the richest few - most of them directly working in the financial industry, or benefitting from financial investments - of a large chunk of the net growth in total incomes, and by the concentration of foreign investment in the UK in mono-activity London.

Financiers, with their ability to monetize today future revenue streams, are able to generate instant profits which can be captured by them and, to a lesser extent, their clients and employers. That capacity to create apparent wealth out of thin air cannot be matched by any other sector in the economy, and sucks in talent, resources and money. Meanwhile, the investors that have made those immediate profits possible will want to ensure that the future flows that underpin them do materialise, and will impose their rules and discipline on the underlying economic activity.

La domination de la finance sur l'activité économique peut être constatée à travers la croissance de la part des profits des entreprises financières dans le montnat total des profits des entreprises (de moins de 20% dans les années 1970 à plus de 40% aujourd'hui aux Etats-Unis). Un autre indice est la capture par une infime minorité, très largement dominée par des investisseurs financiers ou des banquiers, d'une part croissante des revenus générés par l'économie. On peut également noter la concentration de l'investissement étranger au Royaume-Uni à Londres et en particulier dans la City.

Les financiers, qui ont la capacité, via la dette, de matérialiser aujourd'hui les flux de revenus futurs, peuvent ainsi dégager des profits immédiats qui enrichissent certes leurs clients et leur semployeurs, mais en priorité eux mêmes. Cette possibilité de générer des profits instantanés n'existe dans aucun autre secteur d'activité et attire talents, investissements et soutiens politiques. Par ailleurs, les prêteurs ayant permis à ces profits d'exister vont vouloir s'assurer que les profits sous-jacents futurs qui justifient leur investissement se matérialisent effectivement, et vont donc imposer leur discipline et leurs conditions aux activités économiques concernées.

Thus the financial world imposes its unrelenting focus on profits and shareholder value on all economic activities; the domination of "return on capital" criteria ensures that many activities outside finance are in decline, as they struggle to reach the required returns on potential investments. Financial analysis sees labor as a cost, reducing profits, and pushes for its reduction, either via outsourcing, offsorisation or wage stagnation. Similarly, government regulations are seen as restrictions on profit to be fought and eliminated, as, naturally, taxes.

To boost domestic demand in the face of flat incomes, debt has been pushed on households as the way to keep on increasing their spending, to the further benefit of the industry that provides the loans. The combination of expansionist monetary policies in the West and mercantilist policies in China has made it possible to find the holy grail of no inflation and rapid asset price increases, thus generating massive (and increasingly less taxed) corporate profits. The reality was, of course, that of huge global imbalances and a massive bubble, but for the longest time it looked like perfect growth, further validating the policies that underpinned it.

De ce fait, le monde financier impose son obsession exclusive et permanente pour les profits et la "shareholder value" à toutes les autres activités; la loi de fer du critère de retour sur investissement impose le déclin à un certain nombre d'activités non-financières qui peinent à atteindre cet objectif. L'analyse financière voit la force de travail exclusivement come un coût qui réduit les profits, et pousse donc à sa réduction, soit par l'outsourcing, les délocalisations ou le déclin relatif ou absolu des salaires. De même, toute réglementation publique est vue comme une entrave à la capacité de générer des profits et est donc combattue jusqu'à son élimination. Les impôts et taxes entrent naturellement dans cette catégorie.

Pour soutenir la demande intérieure dans ce contexte de stagnation des revenus, la solution naturelle est d'encourager les ménages à s'endetter pour maintenir leur niveau de vie, ce qui renforce évidemment l'industrie qui fournit les prêts. La combinaison de politiques monétaires laxistes à l'Ouest de politiques de change mercantilistes en Asie ont permis d'atteindre pendant un long moment l'apparence d'un idéal économique: pas d'inflation grâce à la pression sur les prix de la Chine, une forte croissance de la valeur des actifs (financiers et immobiliers) de tous, des profits records, et de moins en moins imposés, pour les entreprises, et des chiffres de croissance flatteurs. La réalité a malheureusement été celle d'une bulle financière, avec des déséquilibres internationaux grandissants et une concentration grandissante des patrimoines, mais celle-ci a pu longtemps être masquée par l'apparence d'un grand dynamisme économique, qui a été utilisé pour légitimer ce modèle de capitalisme financier sans restreinte, orienter les politiques économiques en sa faveur, et assurer sa domination totale sur le discours économique ambiant.




The model of financial capitalism is thus all-encompassing, not only grabbing an increasing share of the economic pie, but also dominating all politicial and economic discourse.

The reality, unfortunately, is that a massive inequality, declining or stagnant living standards for the majority, which spend more than they earn, and, as a consequence, a massive bill pushed out into the future. Well, that future is now, and the imbalances will only be unwound if incomes match spending, which can happen via lower spending or via higher incomes.

In the financial capitalism model, incomes are a cost and should not increase; if that logic prevails - if the Anglo Disease is not cured from our body politic - spending will crash and a recession is not only inevitable but likely to be very painful, as the real economy slows down brutally, and the financial bets that ride it suddenly look highly unreasonable, and turn into losses (as is happening already in the subprime sector).

Pourtant, la réalité de ces économies est une inégalité croissante, avec une stagnation voire un déclin du niveau de vie réel d'une majorité de la population, qui dépense plus qu'lle ne gagne, et qui repousse la note dans le futur. Mais ce futur est maintenant arrivé, et les déséquilibres qui doivent se résorber ne peuvent l'être que si les revenus rattrapent les dépenses, ce qui implique soit une baisse de la consommation ou une augmentation des salaires.

Pour le capitalisme financier, les salaires sont un coût et ne doivent donc pas augmenter; si cette logique l'emporte - si l'Anglo disease n'est pas soignée - la consommation s'effondrera et une récession est non seulement inévitable mais sera particulièrement douloureuse. L'ensemble des paris financiers sur les profits futurs apparaîtront soudain déraisonnables et se transformeront en pertes réelles, les revenus non existants ayant déjà été dépensés. C'est ce que l'on voit dans la crise des subprime.

If, to the contrary, policies are focused on propping incomes for the poor and the middle classes rather than profits, on investing in the real economy rather than in monetising its existing activities (for instance via plans to boost energy efficiency in the household sector and renewable energies), on taxing today's wealthy rather than tomorrow's citizens, then there is a chance to limit the crash.

Just like the Dutch disease was caused by a new sector providing temporary windfalls, the Anglo disease was made possible by the combination of technological progress in the financial world, the long bond bull market created by Volcker's successful fight against inflation and the successful promotion of the ideology of greed by the right (with the timely fall of the Berlin Wall providing an additional boost by discrediting the other extreme of the ideological spectrum). The great middle classes created by the keynesian policies of the New Deal have now been exploited for the past 30 years, and they are depleted. The economy will need to find another, more real, way to grow and prosper.

Si, au contraire, les politiques économiques privilégient les revenus du travail plutôt que les profits, les classes moyennes et inférieurs plutôt que les 0.1% les plus riches, l'investissement productif plutôt que la capture de revenus futurs d'activités existantes (par exemple, à travers un plan visant à développer les économies d'énergie dans le bâtiment ou les énergies renouvelables à grande échelle), ou l'imposition des riches aujourd'hui plutôt que celle de nos enfants demain, il est possible de limiter le crash.

Tout comme la "Dutch Disease" fut créée par un nouveau secteur qui amène des surprofits temporaires, l'Anglo Disease a été rendue possible par la coincidence de progrès technologique dans le traitement des flux financiers, du long marché haussier créé par la victoire, via des taux d'intérêts extrêmement élevés imposés par Paul Volcker, sur l'inflation des années 70 et du renouveau idéologique de la droite avec Reagan et Thatcher. L'éloge de l'égoïsme au nom de la liberté, renforcé à point nommé par la chute du mur de Berlin qui a décrédibilisé l'autre extrême idéologique, a permis d'engager la lente capture au profit d'une infime minorité de la prospérité des classes moyennes créée par les 30 années de politiques keynésiennes à partir du New Deal. Mais ces classes moyennes sont maintenant exsangues, et il va falloir trouver une nouvelle voie pour assurer un réel progrès économique pour tous.

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Discussions antérieures sur l' "Anglo Disease":


Earlier work:

Display:
Excellent texte, Jérôme !

Quelques suggestions:

  • traduire "Anglo Disease" par "le Mal Anglo-Saxon" ou "la maladie Anglo-Américaine"...
  • le monde financier impose son obsession exclusive et permanente pour la maximisation des profits et de la valeur pour l'actionnaire("shareholder value")
  • "la loi de fer de l'exigence de retours sur investissements exorbitants, en effet, le critère de ROE n'est pas en soi un problème (tu dois bien l'appliquer dans tes projets), mais le niveau des exigences imposées aux entreprises.

Penses-tu le proposer au "Monde" ?

"Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes" Jacques-Bénigne Bossuet
by Melanchthon on Sat Feb 16th, 2008 at 10:18:17 AM EST
Excellente ressource et travail ! Tiens ? E.T. passe au français ou est-ce une "bogue" ? :-)
Parmi les suggestions de Melanchton je retiendrais plutôt la "maladie Anglo-Américaine" qu'Anglo-Saxonne...! La première me paraissant plus exacte... Et surtout plus ciblée!

"What can I do, What can I write, Against the fall of Night". A.E. Housman
by margouillat (hemidactylus(dot)frenatus(at)wanadoo(dot)fr) on Sat Feb 16th, 2008 at 12:08:52 PM EST
Hello,

I came accross a lecture by Munger, apparently an old timer of the financial world, and one of the things he said reminded me of your criticism of where the money in wall street actually comes from.

Here is the relevant part:

Galbraith invented the word "bezzle" to describe the amount of undisclosed embezzlement, so I invented the word "febezzlement": the functional equivalent of embezzlement. This happened after I asked the question "Is there a functional equivalent of embezzlement?"  I came up with a lot of wonderful affirmative answers.  Some were in investment management. After all I'm near investment management.  I considered the billions of dollars totally wasted in
the course of investing common stock portfolios for American owners.  As long as the market keep going up, the guy who's wasting all this money doesn't feel it, because he's looking at these steadily rising values.  And to the guy who is getting the money for investment advice, the money looks like well earned income, when he's really selling detriment for money, surely the functional equivalent of undisclosed embezzlement.


Rien n'est gratuit en ce bas monde. Tout s'expie, le bien comme le mal, se paie tot ou tard. Le bien c'est beaucoup plus cher, forcement. Celine
by UnEstranAvecVueSurMer (holopherne ahem gmail) on Sat Feb 16th, 2008 at 01:32:13 PM EST
Edit half finished, will post tomorrow.
by afew (afew(a in a circle)eurotrib_dot_com) on Sat Feb 16th, 2008 at 04:34:08 PM EST
Merchants of Misery: Debt collection is one of the UK's fastest-growing industries - Home News, UK - Independent.co.uk

Debt collection agencies and bailiffs are raking in unprecedented sums from Britain's growing mountain of personal finance misery, an Independent on Sunday investigation has found. Last year the agencies and bailiffs pursued no fewer than 20 million cases and the methods they used to squeeze money from people are so aggressive that experts ranging from the Citizens' Advice Bureau (CAB) to members of the House of Lords are now calling for legislation to curb these excesses.

A growing army of thousands of "debt chasers" is making millions from the misery of Britons who have spent years spending above their means, in what campaigners have slammed as "legalised profiteering".

Personal debt is at a record high of £1.4 trillion, averaging £29,684 for every adult in the country. And people now face the possibility of bailiffs being able to break into their homes and take possessions by force. The sweeping new powers will be outlined by the Government in May, when it publishes details of how a new Tribunals, Courts and Enforcement Act will work in practice. In a statement to the IoS, a Ministry of Justice (MoJ) spokesperson claimed that the new powers for forcing entry will be used only "as a last resort... in strictly controlled circumstances", and only "once full independent regulation of all private-sector bailiffs has been implemented". But it emerged last night that, despite bailiffs remaining unregulated, MoJ officials are proposing that they be allowed "to use reasonable force, restraint or violence against debtors thwarting the bailiff's seizure of their go

by afew (afew(a in a circle)eurotrib_dot_com) on Sun Feb 17th, 2008 at 03:18:21 AM EST

 the misery of Britons who have spent years spending above their means

C'est un signe de misère? Je croyais que c'était une preuve du dynamisme et de l'optimisme de la société britannique, et de la supériorité du modèle néolibéral?

Mais évidemment ce n'est pas parce que ces phénomènes sont décrits ainsi, de manière isolée, que le discours sur la France déclinante et les pays anglo-saxons qui créent de la richesse va changer...

In the long run, we're all dead. John Maynard Keynes

by Jerome a Paris (etg@eurotrib.com) on Sun Feb 17th, 2008 at 03:26:15 AM EST
[ Parent ]
"Misery" est un faux frère. Ce mot veut dire en anglais "malheur, souffrance" et non grande pauvreté.

Tout à fait d'ac sur ton deuxième point.

by afew (afew(a in a circle)eurotrib_dot_com) on Sun Feb 17th, 2008 at 04:36:27 AM EST
[ Parent ]
Cela ne change pas beaucoup le sens de mon commentaire, de toute façon.

In the long run, we're all dead. John Maynard Keynes
by Jerome a Paris (etg@eurotrib.com) on Sun Feb 17th, 2008 at 04:39:17 AM EST
[ Parent ]
Voici ma relecture du texte français. J'ajoute ma version anglaise proposée l'autre jour, avec deux ou trois modifications pour tenir compte d'explications mieux fournies en français à certains endroits.

Au cours des années 1970, la revue The Economist proposa le terme de "Dutch Disease" pour décrire le malaise économique qui avait frappé les Pays-Bas suite à la mise en production du champ gazier géant de Groningue.  L'augmentation rapide des exportations de gaz avait conduit à une appréciation de la monnaie nationale, laquelle a déterminé une perte de compétitivité pour les autres industries exportatrices du pays. En même temps, le secteur gazier, si rentable, avait accaparé une grande part de l'investissement domestique. [Je propose d'ajouter:] La "Maladie néerlandaise" se définissait comme la sur-concentration de l'économie sur un seul secteur, au détriment des autres.

Aujourd'hui, sur le plan international, il est raisonnable d'identifier un phénomène similaire concernant le secteur financier, dont la très grande profitabilité ces dernières années a affaibli de manière symétrique les autres activités économiques. Ce secteur étant concentré autour des capitales financières que sont Londres et New York, nous proposons d'attribuer à ce phénomène le nom de l'"Anglo Disease." Si les Néerlandais ont au moins réussi à éviter la "malédiction de l'or noir" qui a frappé de nombreux pays exportateurs de pétrole, il apparaît par contre que l'Anglo Disease est porteuse de sa propre malédiction, dont les premier symptômes sont visibles aujourd'hui dans la crise financière en cours.

La croissance de la part des profits des entreprises financières dans le montant total des profits des entreprises (de moins de 20% dans les années 1970 à plus de 40% aujourd'hui aux Etats-Unis), démontre sans ambiguité la prédominance du secteur financier dans l'activité économique. Un autre indice est la capture par une infime minorité,  largement composée d'investisseurs financiers et de banquiers, d'une part croissante des revenus générés par l'économie. On peut également noter la concentration à Londres, et en particulier dans la City, de l'investissement étranger au Royaume-Uni.

Les financiers ont la capacité, par le moyen de la dette, de matérialiser dès aujourd'hui les flux de revenus futurs de n'mporte quelle activité économique, et ainsi de dégager des profits immédiats. Cette génération de profits instantanés n'existe dans aucun autre secteur d'activité, et attire talents, investissements et soutiens politiques. Par ailleurs, les prêteurs ayant permis aux financiers de réaliser ces profits, ont à coeur de s'assurer que les profits sous-jacents futurs qui justifient leur investissement se matérialisent effectivement. Ils imposent donc leur discipline et leurs conditions aux activités économiques concernées.

Ainsi le monde financier, exclusivement concentré sur les bénéfices et la "shareholder value", dicte sa volonté à toutes les autres activités; la loi de fer du retour sur investissement impose le déclin à un certain nombre d'activités non-financières qui peinent à atteindre l'objectif fixé. Considèrant la force de travail comme un coût qui réduit d'autant les profits, l'analyse financière préconise donc sa diminution, par le moyen de l'outsourcing et les délocalisations, ou par le déclin relatif, voire absolu, des salaires. De même, toute réglementation publique - les impôts et taxes entrent naturellement dans cette catégorie - est vue comme une entrave à la liberté de générer des profits, et fait donc l'objet d'un combat visant son élimination.

La stagnation des revenus déprimant la demande intérieure, la solution tout trouvée est d'encourager les ménages à s'endetter pour maintenir leur niveau de vie. Ceci renforce évidemment l'industrie qui fournit les prêts. La combinaison de politiques monétaires laxistes à l'Ouest et de politiques de change mercantilistes en Asie, a permis d'atteindre pendant un long moment l'illusion d'un idéal économique: pour tous, l'absence de l'inflation grâce à la pression sur les prix de la Chine; pour les possédants, une forte croissance de la valeur des actifs financiers et immobiliers; pour les entreprises, des bénéfices records, et de moins en moins imposés; et pour les gouvernements, des chiffres de croissance nationale flatteurs. Mais sous le rêve, la réalité: une bulle financière accompagnée de déséquilibres internationaux grandissants et d'une accélération de la concentration des patrimoines entre peu de mains. Cette réalité est restée longtemps masquée par l'apparence d'un grand dynamisme économique - ce qui a été utilisé à son tour pour légitimer ce modèle de capitalisme financier sans restreinte, orienter les politiques économiques en sa faveur, et assurer sa domination totale du discours économique ambiant.

Untranslated:

The model of financial capitalism is thus all-encompassing, not only grabbing an increasing share of the economic pie, but also dominating all politicial and economic discourse.

Ainsi, ce modèle du capitalisme financier tient tout en son étreinte, engouffrant une part croissante du gâteau économique, et s'assurant l'entière maîtrise du discours économique et politique.

Pourtant, le résultat est l'aggravation de l'inégalité accompagnée de la stagnation voire du déclin du niveau de vie réel d'une majorité de la population, qui dépense plus qu'lle ne gagne, et qui repousse le paiement de la note toujours plus loin dans le futur. Mais la facture est maintenant due. Les déséquilibres qui doivent se résorber ne le seront que si les revenus rattrapent les dépenses. Ceci peut s'effectuer de deux manières: soit une baisse de la consommation, soit une augmentation des salaires.

Pour le capitalisme financier, les salaires sont un coût et ne doivent donc pas augmenter. Si cette logique l'emporte - si l'Anglo Disease n'est pas soignée - la consommation s'effondrera et une récession sera non seulement inévitable mais sera particulièrement douloureuse. L'ensemble des paris financiers sur les bénéfices à venir apparaîtront soudain déraisonnables et se transformeront en pertes réelles, les revenus non existants ayant été dépensés à l'avance. C'est ce que l'on voit déjà dans la crise des subprime.

Si, au contraire, les politiques économiques privilégiaient les revenus du travail plutôt que les profits, les classes moyennes et modestes plutôt que les 0.1% les plus fortunés, l'investissement productif  (par exemple, à travers un plan visant à développer les économies d'énergie dans le bâtiment ou les énergies renouvelables à grande échelle) plutôt que l'accaparement de revenus futurs d'activités existantes, ou l'imposition des plus aisés aujourd'hui plutôt que celle de nos enfants demain, alors il deviendrait possible de limiter les dégâts du crash.

Tout comme la "Dutch Disease" fut créée par un nouveau secteur apportant des effets d'aubaine, l'Anglo Disease a été rendue possible par la coincidence de progrès technologique dans le traitement des flux financiers, du long marché haussier créé par la victoire, par le moyen des taux d'intérêts extrêmement élevés imposés par Paul Volcker, sur l'inflation des années 1970, et du renouveau idéologique de la droite avec Reagan et Thatcher. L'éloge de l'égoïsme au nom de la liberté, renforcé à point nommé par la chute du mur de Berlin qui a décrédibilisé l'autre extrême idéologique, a permis, sur une trentaine d'années, à une infime minorité de parasiter la prospérité des classes moyennes créée par les politiques keynésiennes à partir du New Deal. Mais ces classes moyennes sont maintenant exsangues, et il va falloir trouver une nouvelle voie pour assurer un réel progrès économique pour tous.

In the 1970s, The Economist coined the label "Dutch Disease" to describe the economic travails of the Netherlands as the country's export-oriented industrial sector struggled with increased exchange rates. These were caused by the rapid growth in gas exports following the discovery and development of the massive Groningen field. The extractive sector was so profitable that it captured a large share of new investment, and its export volume was large enough to alter the trade balance and boost the currency, further rendering other activities less attractive.

Today, a similar phenomenon, but on a larger scale, concerns the financial industry, the high profitability of which over a number of years has weakened other sectors of the economy. As this has developed around the money centers in New York and, in an even more concentrated way, London, I suggest calling this the "Anglo Disease."

Along the lines of the "oil curse" that has struck many oil exporting countries,  the Anglo Disease carries its own curse, of which the early symptoms can be observed in the current financial crisis.

The ascendancy of the financial world can readily be seen in the growth of the share of financial firms in total corporate profits (from below 20% in the 70s to above 40% today), in the capture by the richest few - most of them directly working in the financial industry, or benefitting from financial investments - of a large chunk of the net growth in total incomes, and by the concentration of foreign investment in the UK in mono-activity London.

Financiers, with their ability to monetize future revenue streams today, generate instant profits which they and, to a lesser extent, their clients and employers, can capture. That capacity to create apparent wealth out of thin air cannot be matched by any other sector in the economy. It is not surprising that it sucks in talent, resources and money. Meanwhile, the investors who have made those immediate profits possible still want to ensure that the future flows that underpin them do in fact materialise. To this end, they will impose their rules and discipline on the underlying economic activity.

Thus the financial world imposes its unrelenting focus on profits and shareholder value on all economic activities; the domination of "return on capital" criteria ensures that many activities outside finance are in decline, as they struggle to reach the required returns on potential investments. Financial analysis sees labour as a cost, reducing profits, and pushes for its reduction, either via outsourcing, offshorisation or wage stagnation. Similarly, government regulations are seen as restrictions on profit to be fought and eliminated, as also, naturally, are taxes.

But flat incomes debilitate domestic demand. Easy credit -  to the further benefit of the industry that provides the loans - has been the means to keep household spending on the increase. The combination of expansionist monetary policies in the West and mercantilist policies in China has offered rapid asset price increases at the same time as no inflation, thus generating massive (and increasingly less taxed) corporate profits. The reality, of course, was that of huge global imbalances and a massive bubble, but for a long time it looked like the holy grail of perfect growth. That illusion further appeared to validate the policies that underpinned the system.

The model of financial capitalism is thus all-encompassing, not only grabbing an increasing share of the economic pie, but also dominating all political and economic discourse.

The unfortunate result has been massive inequality, declining or stagnant living standards for the majority, who spend more than they earn, and, as a consequence, a colossal bill passed on to the future. Well, that bill is coming due. The imbalances will only be unwound if incomes match spending. There are two ways for this to happen: lower spending, or higher incomes.

In the financial capitalism model, incomes are a cost and should not increase. If that logic prevails - if our body politic is not cured of the Anglo Disease - spending will crash and a recession is not only inevitable but likely to be very painful. The financial bets on future profits will suddenly look highly unreasonable, and turn into losses, the as-yet-unrealised income having been spent in advance. This is already to be seen in the subprime sector.

If, on the contrary, policies cease their focus on profit support and instead seek to increase incomes for the poor and the middle classes, to invest in the real economy (for instance via plans to boost energy efficiency in the household sector, and renewable energies) rather than in monetising its existing activities, to tax today's wealthy rather than tomorrow's citizens, then there is a chance of limiting the crash.

Just as the Dutch Disease was caused by windfalls from a new sector, the Anglo Disease was made possible by the combination of technological progress in the financial world, the long bull market created by Volcker's successful fight against inflation and the successful promotion of the ideology of greed by the right (with the timely fall of the Berlin Wall providing an additional boost by discrediting the other extreme of the ideological spectrum). The great middle classes created by the Keynesian policies of the New Deal have now been exploited for the past 30 years, and they are depleted. The economy will need to find another, more real, way to grow and prosper.

by afew (afew(a in a circle)eurotrib_dot_com) on Sun Feb 17th, 2008 at 05:00:59 AM EST


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